UTILISATION DES TECHNIQUES ACTUELLES POUR AMELIORER LA LECTURE DES CYLINDRES
 
Christian PILLET
MARSEILLE - Septembre 1998
 
I - LA PROBLEMATIQUE
 
A l'origine, les premiers phonographes à cylindre ont étés conçus pour assurer , sur le même appareil, l'enregistrement et la lecture du son.
Le succès du phonographe a créé une forte demande de cylindres pré-enregistrés et les deux fonctions, enregistrement et lecture, se sont dissociées, entraînant :
Une professionnalisation de l'enregistrement, bénéficiant des techniques les plus modernes de l'époque.
Une diffusion massive d'appareils n'assurant que la lecture, fabriqués à moindre coût, et d'une qualité parfois médiocre.
En conséquence, la lecture des cylindres par les phonographes dont nous disposons aujourd'hui, même quand ils sont en excellent état de conservation, ne permet pas de restituer toutes les informations contenues par ces supports.(On notera que l'on peut faire, au niveau de la lecture, la même constatation pour le disque, en particulier pour le microsillon, l'information gravée n'étant que partiellement restituée, voire déformée, par les appareils de bas de gamme).
Ces observations conduisent à se poser la question suivante :
Comment, à partir des cylindres qui nous sont parvenus, et à l'aide des techniques d'aujourd'hui, pouvons-nous lire toute l'information qui y a été gravée ?
En d'autres termes, comment utiliser les ressources technologiques dont nous disposons pour restituer, à partir d'un support qui date d'une centaine d'années, un son qui soit le plus proche possible du son émis par l'interprète, et, en tout état de cause, très significativement meilleur que celui obtenu en utilisant les appareils les plus performants de l'époque ?
 
La réponse tient en deux points :
 
Construire un appareil de lecture faisant appel aux technologies connues et maîtrisées aujourd'hui, en particulier celles permettant de traduire en signaux électriques les informations de type analogique contenues dans les cylindres.
Traiter l'information recueillie pour éliminer les " bruits " parasites et ne restituer que le son " utile ", celui qu'à l'époque on a voulu conserver.
Les deux points sont intimement liés et ne peuvent se concevoir l'un sans l'autre. Le premier fait plutôt appel à la mécanique et à l'électronique alors que le second utilise l'informatique et les ressources quasiment sans limites du traitement numérique du signal sonore.
Bien que le résultat final ne puisse être entièrement apprécié qu'après le traitement du son, on n'abordera, dans les lignes qui suivent, que le premier point, c'est à dire la description de l'appareil de lecture. Ce point est important puisque sa réalisation permet l'extraction du message sonore contenu sur le cylindre. Il est très technique et laisse peu de place à la subjectivité ou à l'improvisation.
Le deuxième point est beaucoup plus délicat et peut poser, dans certains cas, des problèmes déontologiques. En effet la technologie actuelle permet de traiter le son et de le modifier afin d'obtenir des résultats " virtuels ", parfaitement plausibles, mais n'ayant jamais existé comme, par exemple, faire interpréter " Le fiacre ", succès d'Yvette Guilbert, par Caruso ou par Nelly Melba.
Outre ces problèmes éthiques, qui dépassent largement le cadre de cet article, la description des techniques relatives au traitement du son fait appel à des compétences dont ne dispose que très partiellement l'auteur de ces lignes.
 
 
 
II - LES CARACTERISTIQUES DU LECTEUR

Le lecteur doit pouvoir disposer des caractéristiques suivantes :

 
1. Accepter des cylindres de diamètres et de longueurs différents,
 
2. Entraîner ces cylindres à des vitesses de rotation qui peuvent varier fortement d'une marque à l'autre,
 
3. Lire les cylindres comme ils ont étés gravés, c'est à dire avec un bras qui se déplace perpendiculairement à l'axe du cylindre, donc tangentiellement au sillon,
 
4. Etre équipé d'une cellule stéréophonique, assurant sur le cylindre une pression pouvant varier d'une dizaine de grammes,
 
5. Pouvoir accepter des pointes de lecture ayant des caractéristiques très différentes,
 
6. Pouvoir faire varier l'inclinaison de l'axe du cylindre par rapport à l'horizontale,
 
7. Etre équipé d'un dispositif permettant de corriger les défauts de certains cylindres, comme le décentrage ou la variation d'épaisseur.
 
8. Assurer un signal de sortie compatible avec les normes usuelles de la Hi-Fi,
 
Il est évident que ces caractéristiques n'ont pas toutes la même importance et que certaines peuvent être omises. Ce sont les caractéristiques " idéales " qui sont énumérées ci-dessus.
On verra, en particulier, que la variation de vitesse de rotation (caractéristique n° 2) peut être assurée très efficacement par le traitement numérique du son.
 
 
 
III - LA DESCRIPTION DU LECTEUR
 
Le lecteur qui a été construit ne répond pas à toutes les caractéristiques qui viennent d'être spécifiées. Il en reprend cependant l'essentiel, en particulier celle ayant pour objet la lecture tangentielle.
 

On notera avec intérêt que le principe de la lecture tangentielle n'est pas nouveau puisque les premiers phonographes disposaient déjà de cette possibilité. La vis sans fin qui équipait généralement les appareils haut de gamme, actionnée par le moteur, permettait à l'ensemble " tête de lecture + pavillon " de se déplacer parallèlement à lui-même, en restant pratiquement perpendiculaire à l'axe du cylindre.

 

Cette solution a été reprise pour la lecture des disques microsillons, au début des années 70. Elle fut cependant assez rapidement abandonnée pour des raisons de coût et de fragilité mais surtout à cause de l'arrivée en force du disque compact qui a rendu caduques les platines de lecture, aussi perfectionnées soient-elles.

 
Il n'en reste pas moins vrai que la platine à bras tangentiel à cellule stéréophonique reste la meilleure réponse au problème posé. C'est donc celle qui a été retenue pour la construction du lecteur.
 
Le lecteur se compose de plusieurs modules qui ont chacun une fonction spécifique (voir schéma, page 7 ) :
 
• La plate-forme de base, qui sert de support à l'ensemble du système, provient d'une platine à bras tangentiel THOMSON. Elle contient la carte de pilotage du bras et on a conservé, en façade, les touches de commandes (1). La carte de pilotage du moteur et le moteur lui-même ont étés supprimés. La plate-forme est recouverte d'une planche de contre-plaqué afin de faciliter la fixation des différents éléments du lecteur.
 
• Le bras tangentiel. Il n'a subi aucune modification et provient directement de la platine THOMSON. Il se compose :
 
- du bras lui-même (coquille, cellule magnétique et contrepoids) (2),
- de deux glissières (3) qui permettent au bras de se déplacer latéralement,
- d'un micro-moteur asservi (4) qui fait mouvoir le bras grâce à un système de " câble en boucle " et de poulies.
 
Cet ensemble est fixé sur un socle (5) composé de deux plaques superposées, mobiles dans deux directions :
 
- latéralement, par glissement de la plaque supérieure sur la plaque inférieure, ce qui permet d'initialiser la lecture du cylindre en calant le bras sur le début de l'enregistrement et de compenser ainsi la rigidité du système d'origine (lecture de disques de 17 ou de 30 cm.) Ces déplacements sont assurés par un système " glissières - câble en boucle ", actionné par une petite manivelle (6)
- de haut en bas et de bas en haut, pour tenir compte des différents diamètres des cylindres et positionner en conséquence la tête de lecture par rapport au sommet du cylindre. Ce mouvement est réalisé par quatre vis sans fin, fixées verticalement aux quatre coins de la plaque inférieure, et rendues solidaires par une chaîne et des pignons. L'ensemble est actionné manuellement par une seconde manivelle (7).
Ce système a également l'avantage de permettre de régler l'horizontalité du déplacement du bras sur son support, condition importante pour assurer son bon fonctionnement pendant la lecture du cylindre.
 
• Le support du cylindre et son entraînement qui sont solidaires et fixés sur une plaque mobile (8). Ce système se compose de deux éléments :
 
- Le support du cylindre (9), constitué par la partie supérieure d'un Pathé " Coquet ", c'est à dire essentiellement par son mandrin, son axe et la poulie d'entraînement. (le phonographe n'a subi aucune altération et peut être reconstitué à tout moment).
- Un moteur de platine DUAL (10), 220 volts, muni de son axe d'origine permettant les trois vitesses habituelles (33, 45 et 78 tours). Le moteur est fixé sur un plaque mobile (11) et isolé par des Silentblocs.
 
L'entraînement du cylindre se fait par une courroie. Le moteur ne comportant pas de variateur électronique de vitesse, un des paliers a été dimensionné de telle sorte qu'il assure au cylindre une vitesse de 160 tours/minute. La vitesse de rotation peut cependant être modifiée en changeant la courroie de palier. Cette manoeuvre est effectuée par glissement latéral de la plaque (11) qui supporte le moteur
 
L'ensemble " cylindre - moteur ", fixé sur la plaque (8) est mobile et peut se déplacer dans deux directions :
 
- d'avant en arrière, pour tenir compte de la longueur variable des différentes coquilles qui peuvent équiper le bras et s'assurer que la pointe de lecture se situe bien à l'aplomb de l'axe du mandrin.
- par rotation autour d'un axe (12) afin de pouvoir modifier la pente (éventuellement l'horizontalité) de l'axe du mandrin. L'inclinaison du cylindre est une des conditions de la bonne marche du système.
 

IV - LES RESULTATS

 
La lecture d'un cylindre, relativement simple avec un appareil conventionnel, se révèle assez délicate avec le lecteur qui a été construit. Une restitution sonore de qualité demande de nombreux essais et fait appel à l'empirisme plus qu'aux connaissances théoriques.
 
Sans avoir la prétention d'être exhaustif, on peut citer sommairement les paramètres qui agissent sur la qualité du son :
 
D'abord et surtout : la qualité du cylindre. En lecture simple, et en dehors de tout traitement numérique, on ne tirera jamais rien de bon d'un cylindre couvert de moisissures, portant des traces de coups, fêlé ou usé par des manipulations brutales ou trop fréquentes. Le traitement numérique ultérieur apportera certaines améliorations (élimination des " clicks " provenant d'une rayure, par exemple) mais ne permettra jamais d'écouter Sarah Bernhardt déclamer du Racine si le cylindre est blanc de moisissure. L'information a été détruite par le champignon et n'existe plus. La faire réapparaître tient de la manipulation et va à l'encontre du Code (non-écrit) de déontologie.
 
La pointe de lecture. Ce paramètre, comme d'ailleurs pour le disque conventionnel, est très important et doit être couplé avec un autre paramètre fondamental : la pression de la pointe sur le sillon. Là encore, on est tributaire de la qualité du cylindre et des caractéristiques de l'enregistrement, en particulier de la profondeur et de la largeur du sillon.
 
Il est souhaitable d'effectuer des essais avec des pointes de lecture différentes, en général sphériques, dont le diamètre pourra varier de 0,20 / 0,30 à 1 millimètre, en les combinant avec des pressions différentes. Il est également conseillé de faire varier légèrement la position de la pointe, parallèlement au sillon et d'avant en arrière. Ceci a pour effet de modifier l'angle que fait la pointe avec la tangente au point de contact avec le sillon. Les effets de ces petits déplacements sont loin d'être négligeables et sont nettement perceptibles à l'oreille.
 
Compte tenu de la faible profondeur du sillon et de la légèreté du bras (donc de sa faible inertie) il est assez fréquent de voir, en phase de lecture, le bras " décrocher " et parcourir le cylindre de façon désordonnée.
Il est difficile d'empêcher ces décrochements intempestifs, mais on peut en limiter la fréquence en s'assurant que l'axe du bras est rigoureusement vertical et en donnant, au contraire, une légère pente au cylindre. On notera, là encore, que cette dernière solution n'est pas nouvelle puisqu'on la trouve sur certains phonographes : c'est la fonction, par exemple, de la grosse vis que l'on trouve sur l'un des pieds du phonographe " Lyre ".
 
Le dernier paramètre dont on doit tenir compte est la vitesse de rotation du cylindre. Ce paramètre est très difficile à maîtriser car les vitesses d'enregistrement n'étaient pas constantes, même au sein d'une même marque, voire pour le même titre.
La solution retenue ne provient pas seulement de l'appareil. A la limite elle peut être quelconque (160 tours/minute pour fixer les idées) car elle sera corrigée informatiquement dans la phase de traitement du son.
 
Une fois les réglages effectués et les essais réalisés, le cylindre est lu par le système et le signal stéréophonique est digitalisé et directement enregistré sur le disque dur d'un ordinateur.
 
 
 
V - CONSIDERATIONS SUR LE TRAITEMENT NUMERIQUE DU SON
 
Depuis de nombreuses années, on sait digitaliser le son et le traiter informatiquement. Ce qui était réservé aux professionnels à des coûts élevés est maintenant disponible, à des prix plus abordables, pour des utilisations domestiques.
 
Plusieurs logiciels sont présents sur le marché. On utilise ici le logiciel SOUND FORGE dans sa version la plus complète, la version 4.0.
 
On ne rentrera pas ici dans le détail du traitement qui est relativement complexe et demande, pour aboutir à un résultat intéressant, une assez longue pratique.
 
Les principales fonctionnalités utilisées sont les suivantes :
 
Transformation du signal stéréophonique en signal monophonique par choix du meilleur canal. (Les enregistrements ne sont pas symétriques) ou par addition des deux canaux en utilisant la technique dite de différence de phase.
 
Modification du signal pour éliminer les imperfections telles que la lecture en boucle (répétition du même sillon sur un cylindre détérioré).
 
Modification éventuelle de la vitesse de rotation par procédure informatique (Variation de la tonalité par pas d'un demi-ton).
 
Atténuation des bruits de surface par plusieurs fonctionnalités du logiciel adaptées à ce traitement. C'est là l'exercice le plus délicat car le logiciel ne sait pas toujours identifier le bruit à éliminer et le son à conserver. Un traitement trop intense génère des bruits parasites (écho, effets caverneux,...) qui vont à l'encontre du but recherché.
 
Elimination de type " chirurgical " (point par point) des bruits parasites générés par les défauts du cylindre (trous, rayures, fissures,...)
 
Atténuation des fréquences parasites engendrés par l'appareil de lecture au cours de l'enregistrement (rumble, vibrations du moteur...)
 
Eventuellement, et en respectant le son originel et les règles élémentaires de la déontologie, remplacement de courts passages inaudibles par des échantillons identiques, de meilleure qualité, prélevés sur le même cylindre à des endroits différents.
 
Normalisation de l'intensité du signal de sortie et enregistrement du résultat final sur un magnétophone de bonne qualité.
 
 
 
 
 
VI - ANNEXE : LA LECTURE DES DISQUES A SAPHIRS
 
La lecture des disques " à saphirs ", disques à gravure verticale, débutant généralement au centre, pose à peu près les mêmes problèmes que la lecture des cylindres, mais de façon plus simple.
 
Ces disques peuvent être lus, si leur diamètre le permet, sur des platines conventionnelles équipées d'un diamant pour 78 tours, monté sur une cellule magnétique stéréophonique.
 
Deux problèmes se posent cependant :
 
La vitesse de rotation, peut varier selon la marque entre 80 et 100 tours par minute.
 
Le " skating ",très important, est d'autant plus intense qu'on se rapproche de la fin (bord externe) du disque.
Ce phénomène est amplifié par la faible profondeur du sillon qui laisse échapper la pointe de lecture.
 
Les solutions qui peuvent être apportées sont moins complexes que pour les cylindres :
 
La vitesse peut être modifiée par un variateur électronique ou, mieux, par le traitement numérique du son qu'il conviendra d'effectuer, comme pour le cylindre, et avec les mêmes méthodes.
 
Le " skating " peut être corrigé par le bras de lecture lui-même et on a tout intérêt à équiper la platine d'un bras de bonne qualité. Les platines de type " électrophone " du début de années 70 sont à proscrire formellement.
 
Notons, pour terminer que la platine à bras tangentiel est parfaitement adaptée à la lecture de ce genre de disques et qu'elle ne nécessite pas, dans ce cas, les aménagements qu'il a fallu y apporter pour la lecture des cylindres.