La vitesse d'enregistrement et ses variations
L'enregistrement des sons a été rendu possible dans la seconde partie du 19 ème siècle grâce aux études de précurseurs comme Scott de Martinville, Charles Cros et Thomas A. Edison.
Les premiers projets prévoyaient l'utilisation soit du cylindre (S. de Martinville), soit celle du disque (Charles Cros).
Le premier brevet de Thomas A. Edison décrivait un ensemble constitué d'un tambour rotatif, d'un diaphragme muni d'un stylet graveur et d'un pavillon.
Le tambour supportait une feuille d'étain que venait graver le burin solidaire du diaphragme et d'un pavillon "amplificateur". L'émission d'ondes sonores devant ce "piège" à sons mettait en vibration le diaphragme qui transmettait un mouvement oscillant au stylet et imprimait ainsi un sillon sinusoïdal dans l'étain. L'étain a été choisi pour sa consistance molle. Certains ont essayé le zinc, puis le cuivre. Ultérieurement, la cire, passée au préalable à l'étuve, fut retenue.
Le tambour était à l'origine mise en rotation manuellement à l'aide d'une manivelle.
A l'instar des premières machines de prise de vues cinématographiques, la vitesse d'enregistrement était fonction du rythme imprimé au mécanisme. La lecture devait s'effectuer à un rythme identique faute de quoi, la restitution n'était pas fidèle -si l'on peut parler de fidélité à cette époque de pionniers-.
Le mouvement des machines a été rapidement automatisé. Thomas A. Edison eut l'idée de coupler coupler le système d'enregistrement avec un moteur électrique (Modèle M).
C'est toutefois le système à ressort qui prévalu.
Les enregistrements sur cylindre fonctionnaient à vitesse linéaire constante durant toute la durée de l'enregistrement (vitesse au niveau du point de contact stylet/sillon du disque). Dès 1887, Emile Berliner a développé le système de gravure/reproduction sur disque.
Contrairement au cylindre, la vitesse linéaire n'est pas constante, car pour des raisons de simplicité de fabrication, il paraissait délicat de construire un système à vitesse variable de rotation du disque (certains l'ont pourtant tenté!).
Entre le début et la fin de la plage, la qualité de reproduction s'en trouve modifiée: plus le système reproducteur est près du centre de la "galette", moins grande est la vitesse linéaire, moins grande également est la qualité de l'enregistrement.
Certain on pensé qu'il valait mieux offrir une qualité maximale en début d'enregistrement (Berliner), d'autre au contraire ont raisonné différemment et ont proposé un enregistrement commençant "par le centre" (gravure verticale de Pathé, disques pour le cinéma sonore de Gaumont). Ce dernier procédé a été rapidement abandonné, car l'enregistrement finissant sur le bord du disque, la résistance (le frottement du bras de lecture sur le disque) est maximum lorsque la puissance du moteur à ressort est minimum.
Peu à peu nous observons l'apparition de systèmes employant des vitesses d'enregistrements différentes.
- Les cylindres Edison, Columbia, Lioret, Bettini, puis Pathé 'tournent" aux environs de 160 tours/minutes,
- Les disques Berliner Gramophone, puis Gramophone Concert et Odéon 'tournent" entre 65 et 80 tours (150 trs/mn pour les premiers disques en zinc),
- Les disques à gravure verticale Pathé, Aspir, Dutreih, tournent entre 90 et 120 tours/minutes suivant le modèle (17, 29, 35 et 50 cm de diamètre).
La vitesse de rotation d'un disque dépend, on le voit, du système adopté, mais également du réglage lors de l'enregistrement du disque.
En effet, I'heure de la normalisation n'avait pas encore sonnée, et à chaque séance d'enregistrement le technicien réglait ses machines de gravure en fonction de la durée du programme.
Il faudra attendre la création d'organismes "fédérateurs" à l'époque de l'adoption de l'enregistrement électrique pour que soit proposée la vitesse de 78 tours.
Afin de permettre une lecture convenable (vitesse de lecture identique à la vitesse d'enregistrement), certains disques de cette époque possèdent une courte plage, après l'enregistrement principale, sur laquelle est enregistré un "la" de référence qui permettait à l'auditeur de régler sa machine pour une écoute parfaite.
En fait, peu de disques possédaient cette plage de réglage et le mélomane averti de l'époque devait faire l'effort "d'essayer" son disque pour régler la vitesse du moteur avant de pourvoir en recueillir tout le plaisir attendu. Une certaine culture musicale était donc nécessaire afin de rechercher et d'obtenir la bonne tonalité d'origine.
Tel le musicien avec son instrument, I'auditeur devait accorder son phonographe! Reconnaissons que nos habitudes ont bien changées!
Ces variations peuvent paraître de peu d'importance, mais à y prêter attention, on s'aperçoit que de très faibles variations de vitesses suffisent à détériorer l'audition d'un programme. Les passionnés de haute fidélités se souviennent de l'influence de fluctuations de vitesse sur l'audition de certains instruments (orgue, piano, clavecin, etc...).
Ces variations de "hauteur du son" détériorent l'audition des enregistrements, et beaucoup de documents anciens peuvent paraître décevants alors que un bon ajustement de la vitesse suffit à leur rendre toutes leurs qualités.
Le domaine Iyrique est particulièrement délicat à aborder de ce point de vue.
Hormis le fait que nos "grandes voix" ne comblent pas toujours nos espérances, car certaines ont été fixées sur la cire à des âges bien tardifs (A. Patti, Melba, Maurel ...).
La plupart du temps, les mauvaises conditions de lecture sont la cause de ces auditions décevantes. Nous devons en conséquence être très attentif à cela lors de la lecture d'un enregistrement de cette époque lointaine.
Souvenons-nous enfin des errances de ces pionniers avant de porter un jugement par trop sévère sur ces précieux documents. Car peu à peu, ces enregistrements nous livrent leurs secrets; la magie opère et la curiosité peut parfois faire place à un réel enchantement.

© Daniel Marty